Intervention sur la situation financière des départements dans le cadre de la loi de finances pour 2012.
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Président, cher Claudy,
Mes chers collègues,
La crise que nous connaissons aujourd’hui menace la pérennité de notre modèle économique et social, bel édifice construit pierre par pierre depuis la fin du XIXe siècle, et qui compte parmi les caractéristiques principales, non seulement de la France mais de la plupart des nations de l’Union européenne.
Les défis auxquels nous nous trouvons confrontés sont immenses et nécessitent la mobilisation de toutes les énergies, de toutes les imaginations, de toutes les bonnes volontés. Il en va de la survie de notre Etat Providence qui, grâce à la loi, a su élever les faibles et inciter les plus favorisés à être plus solidaires.
Nous, responsables publics de collectivités territoriales de premier plan, sommes très directement concernés par cette situation.
Au plan politique d’abord. Comme chefs d’exécutifs, nous rendons des comptes en permanence sur les choix budgétaires que nous proposons à nos assemblées de voter, sur les priorités que nous établissons année après année, budget après budget.
Nous devons composer avec de multiples contraintes. Permettez-moi un instant de vous livrer une anecdote.
Quand je demande aux services du conseil général de la Haute-Marne, dans le cadre de la préparation budgétaire 2012, quelle est notre marge d’action, ils me répondent que 85% de nos dépenses sont obligatoires, que 12% sont semi-rigides (sourires), comprenez que nous sommes engagés par une convention ou une délibération quelconque et que 2% sont arbitrables. 2%. Déjà, c’est accessoire mais en plus, ces dépenses portent pour l’essentiel sur la culture et le sport, (sourires) sujets ô combien sensibles s’il en est.
Bien sûr, je force un peu le trait mais la réalité que nous vivons tous est celle-là : nous constatons la montée des dépenses, sociales notamment, tout en disposant de très peu de marges d’action pour contrôler le reste, sauf à sacrifier nos capacités d’investissement, donc la modernisation du service public départemental, donc aussi les projets porteurs d’activité et d’emploi.
Chaque exercice budgétaire est plus difficile à boucler que le précédent. Nous ne pouvons presque plus utiliser le levier fiscal. De toute façon nos concitoyens n’ont guère les moyens de faire plus.
Il est par ailleurs inenvisageable de ne pas s’acquitter des missions obligatoires qui sont les nôtres puisqu’elles nous sont confiées par la loi.
Faire toujours plus en ayant toujours moins, ce n’est pas possible, chacun doit le comprendre. On ne peut plus continuer ainsi.
- Constat :
Face à ce constat assez largement partagé, j’ai du moins la faiblesse de le croire, plusieurs attitudes sont possibles :
- Rejeter la faute sur les plus fragiles d’entre-nous en les accusant de mauvaise gestion. Cette allégation est en général infondée. Elle traduit même une méconnaissance certaine de notre réalité quotidienne. Heureusement, depuis la parution du rapport JAMET, les faits ont été rétablis.
- Rejeter la faute sur l’Etat est aussi une option. Certes, l’APA est aujourd’hui compensée à moins de 30% par l’Etat. Je ne veux pas polémiquer, ce serait mesquin, mais je rappelle simplement que ce problème ne date pas d’hier.
Sans polémique encore, ce n’est pas le Gouvernement actuel qui a décidé des modalités de compensation de cette nouvelle prestation, ô combien nécessaire, nous sommes d’accord ; mais si lourde financièrement pour nos finances, nous sommes d’accord aussi je pense.
Les faits sont têtus : le nombre de personnes âgées dépendantes augmentera de 1,3% par an entre 2010 et 2020, puis de 1,9% par an entre 2020 et 2030 ;
Toutes choses égales par ailleurs, à champ de compétence constant, 6 milliards d’€ d’ici 2020 et 15 milliards d’€ d’ici 2030 devront être trouvés.
Pour la part qui nous concerne, je tiens à rappeler que nous appliquons des règles nationales décidées par le Parlement dans le cadre des missions que la Loi a fait le choix de nous confier : au plan social, qu’il s’agisse du RSA, de la PCH ou de l’APA, nous ne décidons ni des montants, ni des critères d’attribution.
C’est d’ailleurs tout à fait légitime afin que soit garantie l’égalité de traitement de nos concitoyens sur le territoire national.
A des problèmes nationaux ; seules des solutions nationales doivent être apportées. Il ne peut en aller autrement.
Le Gouvernement a pleinement pris la mesure des difficultés, il a fait le choix, courageux et responsable, d’ouvrir un débat national, et, par respect des électeurs, d’en différer la conclusion à l’issue des élections présidentielles et législatives.
En effet, nos concitoyens doivent choisir parmi les différentes solutions qui leur seront proposées pendant la campagne électorale. Ce sujet est majeur.
Sur le fond, la vérité est simple à énoncer : l’Etat n’a pas d’argent et nos concitoyens n’ont pour la plupart plus les moyens d’assumer des hausses d’impôts sans voir leur pouvoir d’achat réduit.
Le groupe DCI prône une attitude responsable, qui soit à la hauteur des attentes de nos concitoyens et des enjeux : ne nous repassons pas le mistigri en nous accusant mutuellement d’incurie. C’est inutile, parce que plus personne n’y croit ; c’est irresponsable ensuite car nous passons notre temps et notre énergie en vaines interpellations au lieu d’essayer de sortir de l’ornière.
Le groupe DCI prend ses responsabilités. A la question : où trouver et comment financer le coût annoncé de la dépendance dans les 15 prochaines années, il répond STOP au bricolage ; STOP aux rustines qui font durer un système à bout de souffle. Une remise à plat s’impose. STOP aussi aux transferts de charges qui ne disent pas leur nom.
Le Gouvernement a su répondre aux situations d’urgence. Je tiens à saluer la mise en place cette année du fonds de soutien de l’Etat aux départements en difficulté pour leur permettre d’assurer l’équilibre budgétaire.
Je voudrais aussi rappeler ici la création de nouvelles recettes pour les départements, grâce à l’instauration de deux fonds de péréquation. Pour le seul premier fond, 440 M€ ont été trouvés. Dans le contexte actuel, où la France est dans une situation financière grave, l’Etat fait un effort important pour les collectivités locales.
Au nom du principe de réalité, je pense que nous pouvons partager ce constat. Etat, Régions, Départements, EPCI, communes : nous avons tous un rôle à jouer pour participer, chacun à proportion de ses moyens bien sûr, à l’effort de consolidation de nos comptes publics.
L’Etat accomplit d’importants efforts budgétaires, qui bien évidemment sont impopulaires. C’est dur de dire non, c’est certain. Et cela coûte aussi de dire non, au plan électoral. Mais nous n’en sommes malheureusement plus là et chacun le sait bien.
- Propositions :
Qui peut croire que le soutien aux collectivités locales serait, comme par magie, le seul poste budgétaire qui échapperait à l’effort national ?
Comprenez-moi bien : je ne prône pas la rigueur ; je comprends et partage le principe de la stabilisation de la dépense publique en fonctionnement.
Des solutions existent pour atténuer l’effort. Tout n’est pas qu’une affaire de finances.
Ø Simplifier les normes
Par exemple, je tiens saluer le travail de notre collègue du Loiret Eric DOLIGE, auteur d’un rapport aussi remarquable que remarqué sur la réduction des normes.
Il démontre que la multiplication et parfois la complexité inutile des normes constituent l’essentiel du malentendu entre l’État et les collectivités. Un État qui continue de légiférer, (sourires) et je prends au passage ma part de responsabilité comme sénateur, de réglementer aussi, entraîne des dépenses supplémentaires non seulement pour lui-même mais aussi pour nous tous.
Ø Développer la péréquation
Autre piste, la péréquation entre départements. Commençons déjà par encourager entre nous le fait que les plus favorisés soient aux côtés des plus fragiles ; notre crédibilité pour demander des efforts à l’Etat n’en sera que grandie. Dans un département comme la Haute-Marne, la péréquation, c’est 22% de la DGF, c’est donc tout à fait significatif.
Ø Accepter un effort supplémentaire par une 2e journée de solidarité.
Pour le groupe DCI, la prise en charge de la dépendance impliquera un effort de solidarité de tous, c’est-à-dire le renoncement par chacun à une petite partie de son « bien être » pour permettre à nos aînés de vivre décemment.
Je forme le vœu que l’ADF, de manière transpartisane, s’accorde déjà à proposer une extension de la 1ère journée de solidarité à l’ensemble des actifs. Cette simple mesure qui ferait partager par tous le fardeau porté aujourd’hui par certains, notamment par tous les salariés, serait à la fois juste et égalitaire. Elle dégagerait un gain total de 3,2 milliards d’€.
Même avec tout cela, chers collègues, je vous accorde bien volontiers qu’une grande partie du chemin reste à faire.
Ø Pour un Grenelle de la décentralisation
Notre Président, Claudy LEBRETON, souhaite saisir l’occasion de ce congrès pour jeter les bases d’un manifeste, d’un acte III de la décentralisation. Si je comprends et je respecte beaucoup sa démarche, je m’interroge : avant d’en appeler à un acte III, ne convient-il pas de remettre à plat et de faire le bilan, en toute franchise, des bientôt 30 années de décentralisation qui ont suivies les lois Defferre ?
N’est-il pas temps de nous poser les bonnes questions, c'est-à-dire de nous interroger sur le périmètre de nos compétences, sur le partage des rôles avec l’Etat ?
Avant d’en demander plus ; sommes-nous certains de vouloir garder notre sphère actuelle ? Sommes-nous tous d’accord sur le bien fondé de la double hiérarchie qui coiffe les SDIS par exemple ? Sommes-nous si certains de vouloir conserver à la fois des services déconcentrés de l’Etat sur tous les domaines ou presque avec des services décentralisés ? Cette coexistence sert-elle l’intérêt de nos concitoyens ? Enfin, pouvons-nous, dans le même temps, vouloir davantage de missions quand nous trouvons difficilement les moyens d’exercer celles que nous avons déjà ?
Ce besoin de clarification demandé par les départements a trouvé un premier écho avec le rapport rédigé par Jean-Jacques de PERETTI.
Ce rapport fait pleinement confiance à l’intelligence territoriale des élus. Et il a raison.
C’est pourquoi, le groupe DCI est davantage tourné vers une nouvelle gouvernance de nos territoires, fondée sur le principe du prescripteur-payeur plutôt que vers un nouvel acte majeur de dévolution de compétences.
Le groupe des départements de la droite, du centre et des indépendants en appelle pour sa part à un Grenelle de la décentralisation. Ce moment majeur de rassemblement de tous les acteurs publics concernés par ce vaste mouvement qui a changé le visage de notre République est nécessaire.
Il faut tout mettre sur la table aujourd’hui, sans tabou.
A l’image du Grenelle qui a su rassembler des intervenants aux intérêts parfois différents autour de l’intérêt général ; autour de la volonté de réussir ensemble, je crois le moment venu de regarder la vérité sans fard et d’associer tous les responsables concernés, quelle que soit leur sensibilité partisane, autour d’une même table.
Attachons nous d’abord à partager les mêmes constats.
Imaginons ensuite, ensemble, une nouvelle organisation des rôles de chacun dans la République à l’aune du résultat de cette vaste et prometteuse étape refondatrice que j’appelle de mes vœux.
Donnons-nous le temps d’un travail serein, qui sera forcément long, sérieux, studieux, fait d’ombre plus que de lumière.
Donnons-nous le droit de nous réunir pour avoir toutes les chances de réussir.
Je vous remercie.